Interview du Dr Geurde

Directeur Médical du Centre Hospitalier du Bois de l'Abbaye

Le CHBA est un centre hospitalier qui compte 4 sites (Seraing, Waremme, Flémalle, Nandrin). Le site de Seraing est réellement encré dans la ville. Accueillant de nombreux habitants du territoire, il a toujours eu une vocation sociale. Le personnel engagé y est d’ailleurs souvent très Sérésien aussi ! Mais comme tous les hôpitaux, le CHBA rencontre des difficultés…

 

Comment définiriez-vous l’accessibilité aux soins de santé ?

C’est d’abord un accès facile et rapide à la première ligne, c’est-à-dire, le médecin traitant. Il est capable de régler 60 à 70% des problèmes des patients. Si les patients ne sont pas assez informés sur la première ligne, ils vont venir à l’hôpital, qui est la deuxième ligne, et malheureusement encombrer les services d’urgences. Il faut savoir que si un médecin voit un patient et nous contacte pour un examen complémentaire, le patient sera vu beaucoup plus rapidement, parce qu’il y a un premier contact médical. Mais cette « culture » de la première ligne n’existe que peu ou pas chez nous. Les autorités ne font rien pour, non plus !

Est-ce que vous pensez que les Sérésiens ont suffisamment accès aux soins de santé ?

Et bien, ceux qui ont accès rapide à la première ligne, oui sûrement. Les autres […] viennent par exemple aux urgences pour des pathologies qui ne le nécessitent pas. Et quand on leur demande pourquoi, souvent ils répondent « parce que mon médecin, je n’arrive pas à le joindre » […] pourtant l’offre médicale, notamment à Seraing, elle est là. Le problème c’est peut-être les délais […] Il y a une vraie pénurie de médecins. J’irai même jusqu'à dire que c’est structurellement voulu ! Et nous avons le même problème au niveau infirmier. C’est un métier qui est en difficulté, beaucoup plus encore que ce qu’on annonce dans les médias. Ça tourne tout doucement au cauchemar. Ça impacte la vitesse à laquelle on peut faire des soins, la qualité des soins. Je ne pense pas qu’on soit dans un désert médical, loin de là. Toutes les structures sont en place. Il y en a même beaucoup, mais elles pourraient fonctionner mieux si nous avions plus de ressources humaines.

Qu’est-ce que ça pose comme problèmes selon vous ?

Le manque d’accès à la première ligne cause un encombrement des urgences. Beaucoup de patients choisissent de venir aux urgences car ils ne paient pas de suite, ils reçoivent la facture par après. Et en tant qu’hôpital à vocation sociale, on soigne tous ceux qui en ont besoin. Il y en a qui ne sont pas en ordre de papiers, qui ont zéro couverture mutuelle, mais nous ne les avons jamais refusés. Nous ne pourrons peut-être pas faire cela éternellement. Notre hôpital a un contentieux énorme, et nous ne sommes pas les seuls.

Presqu’un quart des frais des soins hospitaliers sont payés soit par les patients eux-mêmes, soit par les assurances privées et complémentaires. Quel est votre avis sur le sujet ?

Ça touche encore la même partie de la population, c’est-à-dire ceux qui ne peuvent pas se permettre de prendre une assurance complémentaire. Et au niveau du CHBA, on le voit. Nous avons énormément d’impayés […] Alors on se retourne vers les CPAS, mais les CPAS sont eux-mêmes en difficulté. Il y a vraiment quelque chose à faire au niveau structurel par les politiques pour améliorer cela, car finalement, ce sont les assurances privées ou même mutuellistes qui se font de l’argent sur quelque chose qui relevait à la base du public. Ce sont des choix politiques, et la santé a été délaissée, tout comme la culture et l’enseignement. On l’a bien vu dans la gestion de la crise.

Que fait l’hôpital pour améliorer l’accès aux soins de santé ?

Nous avons des services très pertinents. Nous sollicitons régulièrement nos équipes d’assistant(e)s sociales, et c’est souvent eux qui nous sortent d’affaire. On offre des soins qui répondent à ce dont la population a besoin. Notre disponibilité est la plus maximale possible, mais compte tenu des limites humaines. Nous avons des suppléments d’honoraires limités qui permettent un peu de compenser ça aussi et un système qui permet d’étaler des factures pour aider ceux qui sont en difficulté. Mais quand on a un impayé, on n’arrive pas à le récupérer la plupart du temps. Pour le reste, qu’est-ce qu’on peut proposer à part augmenter les normes médicales et paramédicales ? C’est un manque flagrant de personnel soignant qui ne fait que s’aggraver. Les autorités exigent des hôpitaux de la rentabilité, mais c’est plus difficile dans certaines régions que dans d’autres.

Quelles sont, selon vous, les améliorations possibles afin de faciliter l’accès aux soins de santé pour les Sérésiens ?

Il faut travailler sur la première ligne comme l’ont fait certains pays européens. Je crois qu’il n’y a pas de remède miracle. Il faut agir à tous les niveaux et repenser nos soins de santé. Et puis il faut agir sur cette misère sociale qui nous entoure. Il faut aider ces gens. C’est catastrophique ce qu’on peut voir à l’hôpital. De la précarité, il y en a de plus en plus. C’est inquiétant. […] Mais la base de la médecine c’est la prévention. On n’en fait pas assez chez nous, ce n’est clairement pas assez développé. Ça devrait être organisé et financé par le public et ça ne l’est pas. Ce sont des communes et des gens dans leur petit coin qui essaient de faire bouger les choses, mais ce n’est pas institutionnalisé. C’est la première chose à faire et ça éviterait bien des problèmes. Le médecin ne doit pas être exclu de la prévention, mais une bonne partie de celle-ci doit être faite par d’autres personnes que les médecins, qui ont les compétences pour.